Le parcours d’indemnisation des victimes de dommages corporels est semé d’obstacles. En plus de subir les répercussions de leurs blessures, ces victimes doivent affronter un système souvent complexe, parfois même hostile, pour obtenir une juste réparation. Plus particulièrement, la saisine d’un tribunal et l’engagement d’une procédure contentieuse peuvent représenter pour elles une souffrance morale supplémentaire.
Cette réalité a récemment poussé la jurisprudence administrative à innover en matière de contentieux médical. Les juges ont reconnu un préjudice autonome pour les victimes d’accidents médicaux contraintes de recourir au contentieux en raison d’une offre amiable insuffisante.
Arrêt du Conseil d’État du 21 mars 2023 : nouveau préjudice autonome pour les victimes d’accidents médicaux
Le contexte
Un homme, victime d’une chute lors de sa prise en charge dans un établissement hospitalier, décède de ses blessures. Ses ayants-droits saisissent une commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) pour examiner la responsabilité de l’hôpital. Bien que la CCI ait conclu à la responsabilité de l’établissement et ait ordonné à l’assureur de formuler une offre d’indemnisation, cette dernière est jugée dérisoire par la famille. Elle se voit alors contrainte de saisir le juge administratif pour obtenir une indemnisation équitable.
La famille sollicitait notamment une somme indemnitaire liée spécifiquement au fait d’avoir reçu une offre dérisoire et d’avoir dû saisir le Tribunal.
Ni le Tribunal administratif en première instance, ni la Cour administrative d’appel ne donnent suite à cette demande.
L’affaire est portée devant le Conseil d’État, qui consacre l’existence d’un préjudice autonome. Celui-ci est constitué par :
«… le fait, pour la victime ou ses ayants droit, de s’être vu proposer une offre d’indemnisation manifestement insuffisante au regard du dommage subi et d’avoir dû engager une action contentieuse pour obtenir réparation intégrale, au détriment des avantages d’une procédure amiable. »
Portée de la décision
Avec cette décision, le Conseil d’État reconnaît l’importance de la souffrance morale infligée aux victimes d’accidents médicaux. Ces victimes qui espéraient un règlement amiable doivent finalement mener un combat judiciaire pour obtenir une indemnisation satisfaisante. Ce préjudice spécifique incite désormais les assureurs à formuler des offres plus justes. Cela permet également de valoriser les procédures CCI, dont les avantages sont la rapidité et la gratuité.
Limites de la décision
Cependant, cette décision novatrice du Conseil d’État est limitée à l’article L1142-14 du Code de la santé publique et aux offres des assureurs des établissements hospitaliers responsables. Elle ne s’étend pas explicitement aux offres de l’ONIAM.
De plus, l’indemnisation allouée par la Cour administrative d’appel de Versailles reste modeste (2 000 €). Cela laisse planer le doute quant à son effet dissuasif sur les assureurs pour améliorer leurs offres amiables.
Jugement du TA de Rennes du 27 mars 2024 : Extension du préjudice aux offres formulées par l’ONIAM
Le contexte
Dans une autre affaire, une victime développe une narcolepsie imputable à la vaccination contre le virus H1N1. L’ONIAM propose une offre que la victime juge manifestement insuffisante. Elle se tourne alors vers le Tribunal administratif et demande une indemnisation spécifique pour avoir dû engager une procédure contentieuse face à cette offre dérisoire.
La décision et sa portée
Le Tribunal administratif de Rennes reconnaît le préjudice de la victime résultant de l’offre manifestement insuffisante et de la nécessité d’une action contentieuse. Il étend ainsi la portée de l’arrêt du Conseil d’État de mars 2023 aux offres de l’ONIAM.
En outre, le Tribunal élève le montant de l’indemnisation à 7 000 €, jugeant même qu’une somme de 10 000 € aurait pu être justifiée.
Limites de l’extension du préjudice autonome
Bien que cette décision du TA de Rennes apporte des clarifications, elle reste une décision de première instance. Il demeure à voir si d’autres juridictions suivront cette interprétation, ou opteront pour une approche plus restrictive du préjudice autonome en matière de contentieux médical.
Conclusion : Un nouveau souffle pour l’indemnisation des victimes dans le contentieux médical
Dans un contexte de tribunaux engorgés, la lenteur et la difficulté des procédures contentieuses déséquilibrent les rapports de force dans les négociations amiables. Les assureurs peuvent être tentés de proposer des offres insuffisantes, tandis que des victimes éprouvées pourraient les accepter pour éviter des années de procédure. La reconnaissance d’un préjudice autonome pour souffrance morale pourrait inciter les organismes régleurs à améliorer leurs offres amiables et encourager les victimes à poursuivre leur démarche contentieuse si les offres sont inéquitables.
Ainsi, le juge administratif participe activement au rééquilibrage des rapports de force en matière d’indemnisation dans le contentieux médical, avec des implications prometteuses pour la réduction des recours judiciaires. Ces avancées marquent une étape importante pour les victimes d’accidents médicaux, et posent la question de l’extension de ce préjudice autonome à d’autres domaines que le contentieux médical.
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